Virus
TotalEnergies en Ouganda : “C'est une menace pour la santé humaine”
La déforestation lancée par TotalEnergies pour son mégaprojet pétrolier en Ouganda et Tanzanie risque de faire émerger de nouveaux foyers infectieux, alerte l'écologue de la santé Serge Morand.
Sida, Ebola, Mpox, Chikungunya, Zika, Covid-19… Le nombre de maladies infectieuses liées à des zoonoses, c’est-à-dire des pathologies transmises par des animaux aux humains, ne cessent de croître depuis une quarantaine d’années. De nombreuses études montrent que le risque augmente à mesure que l’Homme détruit les habitats naturels, notamment parce que cela amplifie les contacts entre les humains et les animaux sauvages. Plusieurs scientifiques alertent sur le sujet, à l’image de Serge Morand, écologue de la santé et chercheur au CNRS, qui s’inquiète des répercussions sanitaires du mégaprojet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie.
La déforestation ouvre la voie à des micro-organismes potentiellement pathogènes pour l’humain
“Dans le cadre du gros projet EOACOP (East African Crude Oil Pipeline Project), TotalEnergies veut extraire du pétrole dans plus de 400 puits forés en Ouganda, dont 132 dans une réserve naturelle, et créer un oléoduc de plus de 1.400 km de long, impactant ainsi toute la biodiversité et les communautés locales”, décrit Serge Morand.
Le scientifique rappelle que ce projet va, entre autres, conduire à la construction de nombreuses routes, à de fortes émissions de CO2 (jusqu’à 34 millions de tonnes par an selon les estimations) et à la destruction de forêts. Or, les conséquences de cette pression humaine sur l’environnement ne se limitent pas à la perte - déjà tragique - de nombreuses espèces végétales et animales.
“C’est une menace pour la santé humaine car il y a un risque que de nouvelles maladies infectieuses émergent ! Et pour cause, la forêt permet l’équilibre, elle contribue à de nombreuses choses : la régulation du climat, le bien-être des communautés locales, le maintien de la biodiversité… mais aussi la régulation de la transmission des agents infectieux qui circulent au sein de la faune sauvage. Au niveau international, on a pu observer que l’un des premiers facteurs liés à l’émergence de toutes sortes de maladies était la déforestation. On peut citer la malaria, la leishmaniose, les maladies virales comme Ebola ou encore la maladie à virus Marburg en Afrique.”
Problème, il est difficile pour la communauté scientifique de prédire ce qu’il pourrait se passer. “C'est un vrai défi de recherche ! On sait qu’il va y avoir quelque chose mais on ne sait pas quoi, où et quand… et des mauvaises surprises sont très probables. Pour le cas du Mpox par exemple, ce n’était pas du tout prévisible. On a vu son émergence dans les années 70 en Afrique de l’Ouest, mais c’est finalement l’année dernière qu’il a fait parler de lui. Par chance ce virus n’est pas la variole, il n’est pas très virulent… Mais ce qui est inquiétant c’est qu’il a réussi en un rien de temps à s’adapter aux humains et à se déplacer sur toute la planète grâce aux voies de la globalisation. Alors on peut essayer de se protéger aux frontières, comme pour le Covid-19, mais ce qu’il faudrait plutôt faire, c’est de la prévention directement aux sources, en protégeant les forêts tropicales.”
Pandémie : à quel moment repère-t-on l’émergence d’une maladie virale ?
“Les virus qui ont un fort taux de mortalité sont vite repérés, mais ceux qui sont moyennement virulents peuvent circuler sous le feu des radars avant qu’on ne se rende compte qu'il y a une forte transmission internationale, comme avec le coronavirus. C’est d’autant plus compliqué à réguler dans ces pays où l’on manque déjà de dispensaires et de médecins pour soigner la population locale. La prévention doit donc aussi aller dans ce sens, en renforçant leurs systèmes de soins.”
Si certains virus mettent du temps à émerger car ils ont besoin de plusieurs mutations et/ou recombinaisons pour s’adapter à l'humain, d’autres sont au contraire capables de le faire très rapidement. “Cela dépend de l’évolution. Certains virus n'ont besoin que de quelques modifications pour avoir des capacités d’infection ou de virulence plus importantes. Et quand on regarde le nombre de virus qu’on connaît, on en a caractérisé peu finalement… Donc potentiellement, il y en a encore beaucoup qui ont la capacité d’infecter des humains et d'entraîner des transmissions interhumaines.”