L'interview du week-end
Post-partum : “Je vois beaucoup de jeunes mères qui ne font plus confiance à leur instinct”
Delphine Petit-Postma est Kraamzorg, un métier qui n’existe pas en France mais aux Pays-Bas. Telle une bonne fée, elle aide les jeunes parents en post-partum, soit juste après la naissance de l’enfant, pour surveiller la santé du nourrisson et de la maman, aider aux repas et au ménage, conseiller sur l’allaitement et le sommeil…
Pourquoi Docteur : En France, les femmes sont très suivies tout au long de la grossesse, puis après l’accouchement, elles sont en quelque sorte livrées à elles-mêmes. Pourtant, que la naissance se soit bien passée ou non, c’est une période de grande vulnérabilité pour la nouvelle maman… Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Premièrement, quand on va avoir un enfant, que ce soit le premier ou le cinquième, l’équilibre familial est perturbé, donc il faut tout réorganiser. Ensuite, il faut avoir à l’esprit que l’on va accueillir quelqu'un qu’on ne connaît pas, même si on l’a porté pendant 9 mois dans notre ventre ! Quelqu’un pour qui on va peut-être devoir changer de voiture, faire une nouvelle chambre… et finalement dépenser en moyenne 10.000 euros par an. Donc je dis toujours aux parents de bien prendre le temps de faire connaissance avec leur bébé, de lui raconter son histoire… les bébés comprennent tout ce qu’on dit.
Si on parle à proprement parler du post-partum, physiquement, la femme vient de se cloner : elle a créé un autre être humain grâce au placenta, un organe éphèmère conçu uniquement pour cette procréation. Donc pendant plusieurs mois, son corps n’a fait quasiment que ça. Lorsque le bébé naît, l’organisme doit récupérer de ces 9 mois et de l’accouchement qui est vécu comme un véritable marathon. Et s’il y a allaitement, il doit aussi pouvoir nourrir cet enfant. Cela entraîne tout un tas de process dans le corps de la femme, la rendant très fatiguée.
Devenir mère : "La première fois, c’est vécu comme un tsunami"
Les bouleversements sont également psychologiques : la femme devient mère. La première fois, c’est vécu comme un tsunami, mais chaque nouveau-né est de toute façon un événement à sa mesure qui va bouleverser les deux parents. Émotionnellement, il y a beaucoup de femmes qui disent qu’elles changent d’identité, qu’elles ne se reconnaissent plus… Et pour cause, quand l’enfant naît, on doit changer radicalement sa vie ! On le sait quand on est enceinte mais on ne sait pas à quel point c’est réel, à quel point tout redemande une vraie organisation, qu’il n’est plus possible de sortir boire un verre avec une amie ou d’aller chez le coiffeur sur un coup de tête. Souvent, les personnes pensent intellectuellement être prêtes, et finalement, quand l’enfant naît, elles tombent de haut. Il faut aussi parfois faire le deuil de l’enfant parfait, quand on n’a pas le sexe voulu, ou par exemple que l’enfant ressemble beaucoup à la belle-mère avec qui on ne s’entend pas bien… Ce n’est pas toujours facile car encore aujourd’hui, ce n’est socialement pas acceptable de le dire ou de le penser, c’est tabou, en particulier pour les femmes qui devraient “être heureuses” quand le bébé naît. Il peut également y avoir de la culpabilité, souvent avec le second enfant : “est-ce-que je vais l’aimer assez ?” ; “comment vais-je faire pour bien m’occuper des deux ?”, etc. Mais l’amour ne se divise pas, il se multiplie !
Comment une femme peut-elle se préparer à ce post-partum ?
En plus de notre livre Un post-partum en douceur écrit avec Marion Joseph, je conseille d’en lire plusieurs sur le sujet, notamment Le post-partum dure 3 ans et Le mois d’or, afin de préparer l’après, avant. C’est important de le faire car quand le bébé est né, c’est trop tard, on est dans le gaz et on n’a plus le temps de le faire.
Anticiper le post-partum et demander de l'aide à l'entourage
Pour vivre au mieux le premier mois après l’accouchement, il faut bien préparer son réfrigérateur, anticiper des plats, mettre des choses au congélateur, être sûre d’avoir toutes les bases dans son garde-manger avant le terme… afin d’avoir juste à réchauffer la nourriture pendant le post-partum. Car quand on se nourrit bien, on récupère mieux. Et surtout, il ne faut pas se dire “on verra”, car ce “on verra” tombera forcément à l’eau à cause des nuits hachées et des besoins de récupérer de la fatigue.
Je conseille aussi de préparer sa maison avant : il faut monter les meubles avant la naissance, penser à la façon dont vous ferez prendre le bain au nouveau-né, etc. Il faut penser à se simplifier la vie le plus possible afin de s’assurer qu’on ne va avoir à réfléchir qu’à soi-même et au bébé pendant toute cette période.
L’aide de l’entourage est également primordiale ! Cela ne fait pas beaucoup partie de l’éducation française, mais les femmes ne doivent pas culpabiliser de demander de l’aide et de la recevoir. Il faut s’organiser en amont avec les personnes qui vont venir vous aider, c’est ce que j’appelle les “aide-mamans”. Définissez bien avec elles ce qu’elles viennent faire, pendant combien de temps, etc. C’est aussi important d’avoir les contacts des professionnels de santé que vous pourriez avoir besoin d’appeler : médecin, sage-femme, spécialiste en lactation, PMI, doula, etc, et de les avoir déjà contactés avant l’acccouchement.
"Être réveillé toutes les 2 ou 3 heures est épuisant" mais il faut relativiser
Quelles sont les difficultés les plus couramment rencontrées (autant physiques que psychologiques) ?
Les deux difficultés les plus courantes sont l’allaitement et le manque de sommeil. L’allaitement est une façon naturelle d’alimenter son bébé mais qui n’est naturellement pas facile. C’est important de le savoir car souvent, il ne suffit pas de mettre le bébé au sein. Là aussi il faut se préparer avant l’accouchement, puis prendre son temps et s’entourer de personnes qui vont pouvoir aider. La montée de lait se fait 3 à 5 jours après la naissance, donc il faut persévérer et avoir conscience que c’est un travail à deux, entre la maman et le bébé.
Pour les deux parents, le manque de sommeil peut être particulièrement dur à vivre. Être réveillé toutes les deux ou trois heures est épuisant et cela devient vite compliqué physiquement et psychologiquement. Dans ces moments, je rappelle aux parents que ce sont des phases et que même si on a l’impression de ne pas s’en sortir, cette phase va finir par passer, elle n’est que temporaire.
Par ailleurs, je constate aussi qu’on fait partie d’une génération de parents qui veulent tout maîtriser, avec un self-control absolu, sauf que le bébé, lui, on ne peut pas le swipper, le virer ou divorcer. Les parents doivent apprendre à lâcher prise et surtout, à faire confiance à leur bébé et à eux-mêmes. Je vois beaucoup de jeunes mères qui ne font plus confiance à leur instinct et qui n’écoutent pas assez ce qu’elles ressentent au fond d’elles.
Allaitement : le co-parent peut aider la maman de nombreuses façons
Comment l’entourage, et notamment le ou la conjoint(e), peut aider la femme ?
La première chose à avoir en tête, c’est que le co-parent est le gardien de la maison. C’est lui qui protège de toutes les “invasions” : si les gens viennent, il faut aussi qu’ils repartent pour laisser la maman et le bébé se reposer. Et c’est notamment le cas avec ses parents à lui.
Le co-parent peut aussi aider la maman pour l’allaitement par exemple, en s’assurant qu’elle est bien installée, qu’elle n’a pas oublié d’aller aux toilettes avant, qu’elle a suffisamment à boire, la nuque bien relâchée… Entre les deux tétés, il peut prendre le bébé et aller le changer. Je vois beaucoup de papas qui veulent aider mais qui ne savent pas comment s’y prendre. C’est donc aussi à la maman de lui donner les clés en lui disant “tu es autant capable que moi” et en lui laissant l’opportunité de faire des choses.
Les pères doivent avoir conscience que vers J+3 - J+4, il y a la fameuse chute d’hormones qui peut provoquer beaucoup de pleurs chez la maman. Quand ça arrive, il ne faut pas chercher de solution ou un problème car il n’y en a pas ! Il faut juste accompagner la mère, sans lui poser de question, en la prenant dans les bras, en lui disant qu’on l’aime et en lui rappelant la chose exceptionnelle qu’elle vient de faire - mettre un enfant au monde -.
“Laissez le bébé dans les bras de sa maman, apportez à manger, aidez dans la maison, valorisez la maman”
À quel moment doit-on réaliser qu’une femme n’est pas en baby-blues mais plutôt en dépression post-partum ?
Si le baby-blues dure 10 à 12 jours c’est ok. Cela dépend beaucoup de la façon dont s’est passé l’accouchement. Si on a besoin d’en parler, il ne faut pas hésiter à appeler des amis, des doulas, etc. Écrire aide aussi car cela permet d’extérioriser et de garder une trace.
En revanche, si cette déprime reste plus longtemps, qu’on pleure plusieurs fois par jour, qu’on n'a plus d’appétit ou qu’on ne dort plus, il ne faut pas se sentir bête, gênée, honteuse, ou se dire qu’on est une mauvaise mère… Il faut demander de l’aide car il y a des solutions.
Pour éviter tout cela, c’est important de demander à être entouré. Et je tiens à dire aux personnes qui vont prochainement rendre visite à de jeunes parents : vous n’y allez pas pour raconter votre vie mais pour les aider ! Laissez le bébé dans les bras de sa maman, apportez à manger, aidez dans la maison, valorisez la maman.. car trop souvent, les mamans doutent d’elles et ont besoin d’être rassurées.
Pour en savoir plus : Un post-partum en douceur, de Marion Joseph et Delphine Petit-Postma aux Éditions du Rocher.