Témoignage patient

Addiction : “Je la vivais dans ma chair mais sans poser les mots”

Flora est victime d’un viol en 2005 qui la plonge sous les eaux. Commence alors un véritable combat pour tenter de remonter à la surface, à coups de somnifères et d’autres médicaments… jusqu’à en devenir dépendante.

  • Par Alexandra Wargny Drieghe
  • kieferpix/Istock
  • 11 Nov 2022
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    C’est tout ce que j’ai trouvé pour ne pas sombrer, quand j’ai été engloutie par un caprice du destin”, écrit Flora Nicol dans son livre Mes lettres de cachets, aux éditions Studiofact. Victime d’un “monstre” dans un parking sous-terrain parisien à l’automne 2005, la journaliste et réalisatrice tente alors tant bien que mal de continuer à “s’incarner dans le théâtre de la vie”, malgré le stress post-traumatique.

    Médicaments : une dépendance qui apparaît insidieusement

    Au début, et même si je dépasse les doses prescrites, les médicaments remplissent leur rôle, comme la drogue pour les dépendants : c’est de l’automédication.” Une automédication qui dure des années, jusqu’à sa première grossesse fin 2008. “J’ai cessé toute prise de produits modifiant le comportement dès que j’ai appris la nouvelle. C’était un vendredi. Très vite, les symptômes de manque ont été féroces.” Sa psychiatre, qu’elle contacte pour demander un avis médical, juge alors que puisqu’elle avait pu arrêter seule et du jour au lendemain les médicaments, il n’y avait aucune raison de la considérer comme addict.

    À la naissance de la fille de Flora, la drogue est petit à petit réapparue, mais deux ans plus tard, la maman arrête de nouveau du jour au lendemain en apprenant sa seconde grossesse. “Cette fois-ci, après le deuxième accouchement, il n’y eut plus aucun événement pour mettre un terme à la reprise insidieuse des produits, qui recommença courant de l’année 2012.

    Addiction : “Les premières réelles tentatives d’arrêt s’avérèrent infructueuses”

    Les premières réelles tentatives d’arrêt s’avérèrent infructueuses. Je commençais à me ; dire « Demain j’arrête » et à constater que les lendemains, je recommençais dès le réveil. J’étais enchainée bien malgré moi. Je ne connaissais rien de l’addiction. Je la vivais dans ma chair mais sans poser les mots. Si les faits étaient là, je n’étais pas capable de tirer les conclusions. C’est alors que ma psychiatre - toujours la même - a fini par me dire que j’étais dépendante, addict. C’était au printemps 2013.

    J’ai peu de souvenirs de ma période de consommation. Mais j’ai bien en mémoire cette séance. A l’annonce de mon addiction, je me suis mise à pleurer (je ne pleurais presque jamais et surtout pas chez les psys). C’était un drame de me savoir dépendante.” Sa médecin lui conseille alors d’intégrer le service d’addictologie de l’hôpital Paul Brousse. Flora s’empresse de faire les démarches. Elle raconte la suite dans son livre.

    Subutex : “Je ne saurais jamais si j’ai pris la bonne décision car je ne peux pas réécrire l’histoire”

    Pendant la première cure en 2013, les médecins lui proposent à plusieurs reprises de prendre du Subutex, un opiacé censé aider les personnes addictes à s’en sortir. Mais Flora hésite à le prendre, et décide finalement de ne pas le faire. “Je raconte dans le livre comment je deviens presque folle à envisager leur option, à épouser le point de vue des addictologues de l’Albatros. Toutefois, je ne saurais jamais si j’ai pris la bonne décision car je ne peux pas réécrire l’histoire. Notez que par la suite, je me suis vue administrer du Subutex en 2016, quelques jours dans une autre cure, pour les besoins du sevrage. Étant donné l’effet que j’en ai ressenti (il me faisait dormir, même en position assise), je suis presque sûre que cet opiacé de substitution, ne m’aurait pas dissuadée de me sniffer la cocaïne à haute dose ensuite. Car, après ma première cure, fin 2013, je suis tombée petit à petit dans cette drogue dure, pour n’en sortir qu’en 2020.

    En effet, non seulement la première cure de Flora est un échec, mais en plus, cette thérapie de groupe l’a traumatisée. Ce n’est qu’à l’automne 2021, où après un an de thérapie et d'abstinence, elle espère en être enfin sortie, même si elle ne souhaite pas parler de guérison. Trois éléments clés l’ont particulièrement aidé.

    “La maladie de la dépendance a ceci de vicieux qu’elle vous demande de toucher le fond pour vous décider à vous en sortir”

    J’ai commencé à participer à des groupes de parole entre dépendants, dont l’écrasante majorité est abstinente. Nous nous entraidons à rester clean en partageant notre expérience. Je connaissais l’existence de ces groupes auparavant mais je n’étais pas mûre. Comme je l’ai écrit dans mon livre « La maladie de la dépendance a ceci de vicieux qu’elle vous demande de toucher le fond pour vous décider à vous en sortir ». Et en arrivant dans ces groupes, j’étais plus anéantie que jamais.

    Une autre chose qui fait radicalement la différence cette fois-ci, c’est que je ne fais plus cavalier seul. En tout cas, j’essaye de ne plus réagir de façon aussi impulsive qu’avant et je consulte toujours au moins une personne de confiance avant de prendre une décision. Car j’ai enfin trouvé le bon accompagnement thérapeutique, après des années d’errements : un psychiatre-addictologue, une thérapeute « centrée sur la personne », une psychologue EMDR [Eye Movement Desensitization and Reprocessing c'est-à-dire désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires], et la professeure de yoga sur mesure, Karine Kleb, qui propose une pratique holistique pour reconnecter le corps à l’esprit, alors que la drogue les scindait.

    Et la dernière, mais non la moindre des différences, est d’avoir changé de fréquentations. En effet, le rétablissement impose de faire le tri. Exit les consommateurs de drogue dures bien sûr, mais aussi les donneurs de leçons, ou les aficionados des commérages. On dit que « les rumeurs tuent », et le jugement a fortiori aussi. Ceux qui m’entourent aujourd’hui sont donc tous bienveillants et ouverts d’esprit, honnêtes mais aussi lucides. Cette dernière qualité (c’est davantage une vertu qu’une qualité d’ailleurs) exige beaucoup de courage car elle demande de se regarder tél qu’on est et je constate qu’essayer est déjà douloureux et que la tentative est rare. J’ai récemment compris Paul Eluard: « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil ».

    Sevrage : “Même morte de fatigue, mes jambes ne me laissaient pas dormir”

    Comme toutes les personnes souffrant d’addiction, le sevrage précède forcément l’abstinence. Cette période est très difficile à vivre, car elle s’accompagne d’un ensemble de symptômes qui traduisent un état de manque pour l’organisme. Ils peuvent être plus ou moins intenses et longs en fonction des malades et des produits. “Pour moi, le plus dur a été ce que j’ai nommé « les impatiences » dans mon livre. C’était mes jambes qui bougeaient malgré moi, des mouvements nerveux, comme électriques et très douloureux. Je rapporte qu’elles me rendaient folle et que c’était « vertigineux ». Ce phénomène s’appelle aussi « syndrome des jambes sans repos », comme je l’ai appris bien plus tard. Le souvenir que j’en ai gardé est si insupportable que je n’hésite pas aujourd’hui à parler de torture car, même morte de fatigue, les yeux lourds de sommeil, mes jambes ne me laissaient pas dormir.

    “La vie sans drogue, même si elle n’est pas évidente, est forcément plus belle et toujours plus facile”

    Aux personnes souffrant d’addictions, Flora les appelle à “ne jamais perdre espoir car il est possible pour toute victime d’addiction d’arrêter de se droguer, vraiment”.
    Et la vie sans drogue, même si elle n’est pas évidente, est forcément plus belle et toujours plus facile. Vraiment”, insiste-t-elle. L’auteure conseille, entre autres, “de chercher de l’aide d’autres dépendants en rétablissement car il n’existe pas de personne plus adéquate pour aider une victime d’addiction qu’un addict ayant réussi à arrêter de se droguer”. Groupes de parole, entraide, mais aussi psychiatre addictologue et double thérapie.

    Et le dernier message, et le non des moindres, c’est qu’il ne faut pas avoir peur de ses émotions. Certes arrêter de consommer c’est renouer avec des émotions parfois désagréables. Mais j’ai constaté que la Beauté, l’Amour, l’humour, la spiritualité qui est nécessaire au rétablissement, ainsi que toutes les bonnes choses s’infiltrent par les blessures.

    Pour en savoir plus, retrouvez une partie de l’histoire de Flora Nicol dans son livre Mes lettres de cachets, aux éditions Studiofact.

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