Mars Bleu

Cancer colorectal : "Le dépistage s'adresse à des gens qui n'ont pas de symptômes"

À l’occasion de “Mars Bleu”, le mois consacré à sensibiliser au dépistage et à la prévention du cancer colorectal, rencontre avec le Pr Jean-Baptiste Bachet, oncologue digestif à la Pitié Salpêtrière.

  • Par Alexandra Wargny Drieghe
  • Chinnapong/ISTOCK
  • 01 Mar 2024
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    Pourquoi docteur : Quels sont les facteurs de risque du cancer du rectum ?

    Pr Jean-Baptiste Bachet : Il y a environ 45.000 cas par an en France de cancers colorectaux, dont un tiers sont des cancers du rectum, donc 10.000 à 15.000 cas. L’incidence augmente un peu à cause du vieillissement de la population. Les facteurs de risque sont en grande partie liés au mode de vie, c'est-à-dire à l’alimentation et à la sédentarité. On a donc vu une augmentation au fur et à mesure des années dans les pays occidentaux. C’est aussi un cancer qui survient plutôt chez les patients âgés puisque la médiane d’âge est supérieure à 70 ans.

    Pour 80 % des patients, les cancers colorectaux surviennent sans antécédents personnels ou familiaux, sans cause génétique.

    Est-ce qu’il y a des causes génétiques possibles ?

    On a environ 5 % des cancers colorectaux qui surviennent dans un contexte de cause génétique, de mutation germinale. On a le syndrome de Lynch, encore une fois, dont on a parlé pour le cancer à l’estomac, et la polypose adénomateuse familiale, qui est une autre anomalie génétique entraînant des cancers presque systématiquement avant 40 ans. Dans ce cas, on peut avoir des familles avec des gens qui ont des cancers colorectaux très jeunes. Il y a des dépistages spécifiques organisés pour les patients qui sont porteurs de ces mutations germinales avec des coloscopies qui commencent à un âge jeune, voire des chirurgies recommandées de manière prophylactique avant la survenue de ces cancers.

    On a ensuite environ 15 % des cancers colorectaux qui surviennent dans un contexte d’antécédents familiaux ou personnels de cancers colorectaux, mais pour lesquels on n’a pas identifié de cause génétique formelle. Chez les gens qui ont ces antécédents, le dépistage repose sur la coloscopie qu’ils doivent faire régulièrement pour regarder s’il y a des polypes ; ce sont des petites anomalies qui peuvent amener au cancer. Le but est de faire des diagnostics précoces de ces polypes et de les retirer pour éviter que des cancers surviennent, ou alors faire des diagnostics précoces de cancers pour pouvoir les guérir beaucoup plus facilement. Enfin, pour 80 % des patients, les cancers colorectaux surviennent sans antécédents personnels ou familiaux, sans cause génétique.

    Mars Bleu : “il faut impérativement que les patients réalisent ce test de dépistage”

    Y a-t-il un profil type de patients ?

    Il n’y a pas de profil type déterminé en dehors des facteurs génétiques. Il y a aussi les personnes souffrant de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, de rectocolites hémorragiques et de la maladie de Crohn, qui sont plus à risque de faire des cancers colorectaux. Donc ces patients ont aussi des programmes de dépistage spécifiques. Mais sinon, cela peut survenir chez n’importe qui. Le dépistage est donc fondamental, car c’est quand même le cancer digestif le plus fréquent. Il est responsable d’un certain nombre de décès par an en France.

    À qui s’adresse le dépistage ?

    Le dépistage s'adresse à des gens qui n'ont pas de symptômes, comme la mammographie chez la femme pour le cancer du sein, car le but, c’est justement d’essayer de savoir chez qui il faut faire une coloscopie pour trouver des polypes et faire des diagnostics précoces de cancer. Ainsi, pour la population qu’on définit à “risque modérée”, qui est la population entre 50 et 75 ans, on a un test de dépistage national qui s'appelle le test FIT, qui est la recherche de sang dans les selles. On a d’ailleurs un mois de dépistage qui est mars bleu, car il faut impérativement que les patients réalisent ce test de dépistage ! Actuellement en France, on est nettement insuffisant en termes de participation par rapport aux recommandations : on est à moins de 35 % de participation depuis des années alors qu’on devrait être au minimum à 45 %. Et pourtant, il faudrait même atteindre 60 % pour avoir un réel impact sur la mortalité liée à ce cancer. Donc il faut absolument qu’on sensibilise la population à participer à ce test de dépistage ! Et si ce test de recherche de sang dans les selles est positif, il faut faire une coloscopie.

    Coloscopie : des “signaux d’alarme” doivent amener à consulter rapidement

    Certains symptômes peuvent-ils tout de même alerter un malade ?

    Les symptômes qui peuvent survenir chez les patients qui ont un cancer du côlon ou du rectum sont essentiellement liés à la tumeur primitive : du sang dans les selles, des modifications du transit intestinal avec soit des diarrhées soit des constipations, ou des douleurs abdominales. Mais pour certains cancers du côlon, on peut aussi avoir des symptômes liés à l’évolution de la maladie et à des métastases, avec l’altération de l’état général… Pour les cancers du rectum plus spécifiquement, la tumeur étant relativement bas par rapport au tractus digestif, on peut avoir des douleurs au niveau du rectum, des sensations de faux besoin et des saignements, qui doivent être des signaux d’alarme et amener à consulter rapidement pour faire une coloscopie diagnostique.

    Où en sommes-nous côté traitement ?

    Pour les cancers du rectum, les choses ont beaucoup changé depuis 2020 ! On va dire qu’avant, le traitement reposait sur la chirurgie précédée d’une radiothérapie ou radiochimiothérapie ; et actuellement, le standard pour les tumeurs localement avancées du rectum, qui sont assez volumineuses avec plus ou moins des ganglions localement, cela repose d’abord sur trois mois de chimiothérapie, puis une radiochimiothérapie, et ensuite la chirurgie du rectum. Donc c’est une séquence thérapeutique qui est relativement longue, qui dure quasiment six mois. Se discute ensuite le besoin d’une chimiothérapie adjuvante ou pas, en fonction des résultats de l’analyse de la pièce opératoire.

    On a aussi dans des centres experts, et j’insiste bien sur la notion de “centre expert”, des nouvelles modalités thérapeutiques qui se développent sur la possibilité, éventuellement, de ne pas opérer les cancers du rectum. Le traitement repose alors sur de la radiochimiothérapie et, en cas de réponse complète de la tumeur, il peut y avoir une discussion sur une stratégie attentiste, où on va plus ou moins réséquer la cicatrice là où était la tumeur, ou bien, juste faire une surveillance. Mais cela nécessite une expertise importante des médecins qui vont faire cette surveillance et qui vont pouvoir réagir au mieux si jamais la tumeur se remet à repousser.

    Il y a aussi des stratégies de conservation d’organes qui sont en cours de développement et qui sont maintenant validées, mais cela concerne uniquement les plus petites tumeurs du rectum (moins de 4 cm de diamètre).

    Vous pouvez retrouver l'interview en images du Pr Jean-Baptiste Bachet, par la rédactrice scientifique Juliette de Noiron (PhD) :

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