Neurologie

AVC ischémique : intérêt de la thrombolyse adjuvante après thrombectomie ?

De nouvelles études suggèrent que l’administration péri-procédurale de thrombolytiques pourrait améliorer le pronostic fonctionnel après une thrombectomie mécanique réussie. Toutefois, les résultats des études actuelles sont hétérogènes et justifient d’attendre les résultats d’autres études en cours avant un changement de pratique.

  • mr.suphachai praserdumrongchai/istock
  • 14 Jan 2025
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    La thrombectomie mécanique est devenue un traitement phare de l’AVC ischémique aigu causé par l’occlusion d’une grande artère intracrânienne, permettant d’ôter l’embole grâce à un dispositif endovasculaire. Malgré une recanalisation souvent efficace, la moitié des patients ne retrouvent pas une autonomie fonctionnelle satisfaisante à trois mois. Même lorsque la reperfusion macrovasculaire est réussie (eTICI, 3), on pense qu’elle peut encore être altérée au niveau microvasculaire, ce qui peut être une cause importante de handicap post-AVC. Dans ce contexte, l’administration de thrombolytiques intra-artériels, en plus de la thrombectomie, qui permettrait de dissoudre de petits composants des emboles intra-artériels, suscite un intérêt croissant pour améliorer la reperfusion microvasculaire, encore susceptible d’être compromise après la reperfusion des gros vaisseaux.

    Le premier essai notable sur cette question, l’étude CHOICE, avait inclus 121 patients avec une reperfusion quasi complète (score eTICI ≥2b). Ces participants avaient été randomisés pour recevoir de l’alteplase intra-artérielle ou un placebo, juste après la thrombectomie. Les résultats ont montré un taux d’excellent pronostic fonctionnel (score mRS 0-1) de 59,0% sous alteplase contre 40,4% sous placebo, soit une différence ajustée de 18,4% (IC à 95%, 0,3%-36,4% ; p=0,047). Ce bénéfice apparent n’a toutefois pas été confirmé par d’autres analyse en fonction du score mRS ou par l’échelle NIHSS à 24 heures et à 7 jours, ce qui limite la robustesse statistique de ces conclusions. En outre, l’essai a été interrompu à 60% de son recrutement prévu, affaiblissant encore sa portée clinique.

    Deux essais randomisés jumeaux chinois avec 2 autres types de thrombolytiques

    Deux « essais jumeaux » (POST-UK et POST-TNK) ont ensuite exploré la même stratégie, avec des thrombolytiques différents : l’urokinase (POST-UK) et la ténectéplase (POST-TNK). Réalisés chez des patients ayant obtenu une reperfusion satisfaisante (score eTICI ≥2b), ils ont évalué l’ajout de ces agents au cours de la procédure. Bien que chacun apporte un léger avantage pour la proportion de mRS 0-1 en faveur de la thrombolyse intra-artérielle (45,1% vs 40,2% dans POST-UK et 49,1% vs 44,1% dans POST-TNK), l’intervalle de confiance reste large, rendant la différence non significative (aRR, 1,13 [IC à 95%, 0,94-1,36] pour l’urokinase et 1,15 [IC à 95%, 0,97-1,36] pour la ténectéplase).

    Sur le plan de la tolérance, l’absence d’augmentation majeure du risque d’hémorragie intracrânienne symptomatique est un signal rassurant, même si on note une hausse significative de tout saignement intracrânien radiologique à 48 heures avec la ténectéplase. Par ailleurs, l’évaluation de la mortalité et des complications sévères ne montre pas de différence notable, bien qu’une une comparaison directe urokinase vs ténectéplase exigerait un essai spécifiquement conçu à cet effet.

    Dans une analyse combinée sommaire des trois essais (CHOICE, POST-UK, POST-TNK), le bénéfice potentiel de la thrombolyse intra-artérielle ne ressort pas comme étant statistiquement significatif, quelle que soit le thrombolytique utilisée (alteplase, urokinase ou ténectéplase). Toutefois, l’hétérogénéité des protocoles (critères d’inclusion, utilisation d’une thrombolyse intraveineuse initiale ou non) et l’arrêt précoce de CHOICE limitent la portée d’une telle méta-analyse. Plusieurs essais sont encore en cours, tels que TECNO (NCT05499832) et 2BE3 (NCT06034847), qui pourraient affiner notre compréhension de l’efficacité de ces approches adjuvantes.

    Des essais randomisés en ouvert français et chinois

    Les données actuelles proviennent d’essais randomisés multicentriques, dont la plupart ont un design ouvert (open-label) et ont été réalisés en Europe (CHOICE) ou en Chine (POST-UK et POST-TNK). La reperfusion après thrombectomie est généralement évaluée au moyen du score eTICI (Thrombolysis in Cerebral Infarction), qui va de l'absence de reperfusion (grade 0) à la reperfusion complète (grade 3) sur l'angiographie par soustraction digitale. Le résultat fonctionnel est évalué par l'échelle de Rankin modifiée (mRS) à 3 mois, qui va de 0 (aucun symptôme) à 6 (décès). On considère que les patients n'ont pas de handicap significatif malgré les symptômes avec un score mRS de 1 et qu'ils sont fonctionnellement indépendants avec un score mRS de 2.

    L’homogénéité de la population dans les essais chinois a parfois été considérée comme un frein à la généralisation, mais la description détaillée des prises en charge et des caractéristiques initiales permet d’envisager une extrapolation prudente à d’autres contextes. Néanmoins, l’absence de certaines informations (comme l’adaptation précise des protocoles de soins post-thrombectomie ou les mesures de contrôle de la qualité du traitement) demeure un facteur limitant. En termes de robustesse méthodologique, on note également que l’évaluation de l’issue (mRS à 3 mois) n’est pas toujours en aveugle vérifié, ouvrant la porte à un potentiel biais d’évaluation.

    Selon un éditorial associé, ces travaux appuient l’hypothèse qu’une amélioration de la microcirculation par la thrombolyse pourrait améliorer le devenir fonctionnel de certains patients. Cependant, l’efficience réelle de cette stratégie reste à confirmer, en particulier pour l’optimisation des doses et le choix de l’agent thrombolytique. Les résultats disponibles ne justifient donc pas, à ce jour, l’adoption généralisée de la thrombolyse intra-artérielle adjuvante dans la pratique courante.

    Les études en cours, comme TECNO et 2BE3, apporteront des éléments de réponse plus robustes et pourraient déboucher sur de nouvelles recommandations. D’ici là, un usage hors protocole doit être envisagé au cas par cas, en tenant compte du profil de chaque patient et de l’évaluation bénéfice-risque. Les perspectives de recherche portent également sur la détection précoce des troubles microvasculaires post-thrombectomie, afin de mieux cibler les patients susceptibles de bénéficier de ce type d’intervention pharmacologique.

     

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