Rhumatologie
Lupus : un biomarqueur simple pour améliorer le choix des traitements
Compte tenu du caractère très hétérogène du lupus érythémateux disséminé, au plan clinique comme au plan biologique, de nouvelles techniques permettraient de mieux identifier les groupes de malades homogènes et meilleurs répondeurs aux thérapies ciblées
- CarmenMurillo/istock
Le lupus érythémateux disséminé (LED), ou systémique, est une maladie auto-immune complexe associée à un dérèglement immunitaire généralisé et à des caractéristiques cliniques très variées. La grande hétérogénéité clinique du LED, qui va de la maladie cutanée bénigne à l’atteinte d'organe catastrophique, représente un défi considérable pour le traitement des patients comme pour la conception des essais cliniques.
De plus, une étude récente, menée chez des patients atteints de LED réfractaire, a montré que les profils immunologiques et cliniques de la maladie différeraient selon l'ascendance génétique (européenne ou non-européenne) et seraient associés à des réponses discordantes à des traitements comme le rituximab.
La capacité de déterminer avec précision quels patients sont les plus susceptibles de répondre à une thérapie ciblée donnée est donc le Graal de la recherche dans le lupus, avec un besoin impératif de biomarqueurs, à la fois prédictifs et simples à mesurer.
Éviter les échecs des traitements ciblés
Ce caractère hétérogène de la maladie complique également le développement de nouveaux traitements, quand ceux-ci sont testés sur des populations trop disparates. De nombreux médicaments qui se sont révélés prometteurs lors des essais de phase 2 ont échoué dans les phases 3 ultérieures, et les quelques médicaments qui ont survécu au passage de la phase 2 à la phase 3 (belimumab et anifrolumab) n'ont finalement qu'une efficacité modeste par rapport au placebo sur l’ensemble de la population testée.
Malgré des décennies de recherche, seules deux thérapies ciblées, le rituximab et le belimumab, ont donc été approuvées pour le traitement des patients atteints de LED et, dans la plupart des systèmes de santé, la disponibilité de ces thérapies ciblées anti-lymphocytes B est limitée aux patients réfractaires aux immunosuppresseurs classiques, c’est-à-dire parfois tard dans le court évolutif de la maladie, à un stade où des lésions d’organes existent déjà et ou l’imprégnation corticoïde se fait déjà sentir.
En dépit de l'approbation récente de l'anifrolumab (qui cible la sous-unité 1 du récepteur de l'interféron de type 1) par la Food and Drug Administration américaine et l'Agence européenne des médicaments, le coût de ce médicament risque de le mettre hors de portée de nombreux systèmes de santé. De nouvelles approches de stratification des patients basées sur les biomarqueurs pourraient maximiser les chances de succès de ces agents en phase 3 et réduire le gaspillage de la recherche via les essais cliniques ratés.
Meilleure compréhension des mécanismes biologiques mis en jeu
Les progrès de la recherche « omique » ont conduit à une explosion de la recherche sur la biologie du LED. Ces premières études translationnelles prometteuses ont ouvert des possibilités de comprendre la maladie, mais elles ne se sont pas encore traduites par des succès en clinique. En effet, la stratification des patients sur la base de l'analyse génomique ou la cytométrie de flux, n'est probablement pas réalisable en clinique, et des biomarqueurs pouvant être mesurés à l'aide de tests simples et largement disponibles sont nécessaires.
Dans The Lancet Rheumatology, Muhammad Shipa et coll. ont utilisé une approche d’IA pour identifier les biomarqueurs simple de réponse au belimumab (administré après la perfusion initiale de rituximab) chez les patients atteints de LED inclus dans l'essai BEAT-LUPUS. Un biomarqueur, le taux sérique des « anticorps sériques IgA2 contre l'ADN double brin », a permis de prédire la réponse au belimumab, ce qui laisse entrevoir la possibilité qu'un simple test sanguin puisse guider la sélection personnalisée d'un traitement ciblé chez les patients atteints de LED, à condition que les résultats soient vérifiés dans d'autres populations.
Intérêt d’un anticorps sérique IgA2 anti-ADN double brin
Dans cette étude, l’équipe de recherche de l’Université de Londres trouve une association prédictive entre les concentrations initiales d'anticorps sériques IgA2 anti-ADN double brin (ADNdb) et la réponse clinique au belimumab, avec une différence entre les groupes pour la réponse clinique majeure de 48% (IC à 95% 10 à 70) chez les patients ayant des concentrations initiales élevées d'anticorps sériques IgA2 anti-ADNdb. De plus, parmi ceux qui ont eu une réponse clinique majeure, les concentrations sériques d'anticorps IgA2 anti-ADN double brin n'ont diminué de manière significative que dans le groupe belimumab.
Les concentrations sériques d'anticorps IgA2 anti-dsDNA seraient également associées à une maladie rénale active, tandis que les concentrations sériques d'anticorps IgA1 anti-dsDNA et d'IFN-α seraient associées à l'activité de la maladie cutanéo-muqueuse (mais ne permettraient pas de prédire la réponse à la thérapie ciblée anti-lymphocyte B).
Enfin, les patients avec une concentration initiale élevée d'interleukine-6 sérique seraient moins susceptibles de présenter une réponse clinique majeure, quelle que soit la thérapie choisie.
La médecine de précision à portée de main
D’après un éditorial associé, cette étude de recherche translationnelle, en utilisant les nouvelles technologies de l’IA, permet de mieux comprendre la pathogenèse de la maladie, avec des réseaux moléculaires distincts associés à l'atteinte rénale et cutanéo-muqueuse. Elle jette les bases de la découverte de biomarqueurs qui pourraient permettre de cibler avec précision les agents thérapeutiques les plus adaptés à chaque patient lupique.
S'ils sont confirmés, ces résultats pourraient guider la médecine de précision avec les thérapies ciblées pour cette maladie très hétérogène. On n’y est pas encore, mais on s’en approche.