Cardiologie
Insuffisance cardiaque : réduction de la mortalité sous anti-SGLT2 quelle que soit la FEVG
Quelle que soit la fraction d’éjection systolique, au moins 2 antagonistes du SGLT2 réduisent la progression et la mortalité de l’insuffisance cardiaque dans 3 études présentées au congrès de l’ESC.
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Avec le vieillissement de la population, la prévalence globale des patients souffrant d'insuffisance cardiaque et ayant une fraction d'éjection systolique préservée augmente, or, la mortalité à un an de ces patients se situe entre 20 et 29%. Jusqu'à récemment, plusieurs traitements connus pour améliorer l’état des patients souffrant d'insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection réduite n'avaient pas réussi à démontrer un bénéfice net chez ceux ayant une fraction d'éjection préservée.
Dans l'étude DELIVER, la dapagliflozine réduit le risque de décès cardiovasculaire ou d'aggravation de l'insuffisance cardiaque chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection légèrement réduite et préservée, selon les résultats présentés lors d'une session du Congrès ESC 2022 et publiée dans le New England Journal of Medicine. La dapagliflozine réduit de manière significative le critère composite primaire de 18%, avec des réductions touchant les 2 composantes du critère composite (décès cardiovasculaire ou aggravation de l'insuffisance cardiaque), avec une amélioration des symptômes.
Ces bénéfices sont cohérents dans tous les sous-groupes de patients pré-spécifiés, avec des bénéfices similaires chez les patients ayant une fraction d'éjection de 60 %, inférieure ou supérieure à 60 %, chez ceux souffrant d'insuffisance cardiaque avec une fraction d'éjection améliorée, ainsi que chez les patients récemment hospitalisés.
Large essai randomisé en add-on
DELIVER est un essai randomisé, en double aveugle, versus placebo, mené sur 353 sites dans 20 pays. L'essai a recruté des patients âgés de 40 ans et plus souffrant d'insuffisance cardiaque symptomatique avec une fraction d'éjection supérieure à 40%, qui étaient soit des patients chroniques de consultation, soit hospitalisés ou récemment hospitalisés, y compris des patients qui avaient auparavant une fraction d'éjection de 40% ou moins (c'est-à-dire une insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection améliorée).
Les patients ont été randomisés entre la dapagliflozine, 10 mg une fois par jour, et le placebo, en sus du traitement standard, et ont été suivis pendant une durée médiane de 2,3 ans. Le critère d'évaluation primaire était un composite des décès cardiovasculaire ou d'aggravation de l'insuffisance cardiaque.
Un traitement en add-on
Au total, 6 263 patients, d'âge moyen de 72 ans, ont été randomisé entre la dapagliflozine, 10 mg une fois par jour, et le placebo. La fraction d'éjection ventriculaire gauche moyenne était de 54%, et 18% des patients avaient eu auparavant une fraction d'éjection de 40% ou moins.
Au moment de la randomisation, 77% des patients prenaient un inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine, un antagoniste des récepteurs de l'angiotensine (ARA2) ou un inhibiteur de la néprilysine, 83% prenaient un bêtabloquant et 43% un anti-aldostérone.
Une amélioration multi-dimentionnelle
Sur une période médiane de 2,3 ans, le critère de jugement primaire est survenu chez 512 des 3 131 patients (16,4%) du groupe dapagliflozine et 610 des 3 132 patients (19,5%) du groupe placebo (HR 0,82 ; IC à 95% 0,73-0,92 ; p<0,001). En ce qui concerne les composantes du critère d'évaluation principal, l'aggravation de l'insuffisance cardiaque est survenue chez 368 patients (11,8%) dans le groupe dapagliflozine et 455 patients (14,5%) dans le groupe placebo (HR 0,79 ; IC à 95% 0,69-0,91), et le décès cardiovasculaire est survenu chez 231 (7,4%) et 261 (8,3%) patients, respectivement (HR 0,88 ; IC à 95% 0,74-1,05).
Les principaux critères secondaires ont également été réduits chez les patients recevant la dapagliflozine par rapport au placebo, y compris le nombre total d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque et de décès cardiovasculaires (HR 0,77 ; IC à 95% 0,67-0,89), et le fardeau total des symptômes, évalué à l'aide du Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire (KCCQ) (différence moyenne du score total des symptômes du KCCQ 2,4 ; IC à 95% 1,6-3,2).
2 antagonistes du SGLT2 au moins
Les inhibiteurs du SGLT2, initialement développés dans le traitement du diabète de type 2, ont apporté des bénéfices cardiovasculaires remarquables chez les insuffisants cardiaques avec fraction d'éjection systolique réduite, ainsi que chez ceux avec une fraction d'éjection préservée, avec ou sans diabète.
En particulier, plusieurs essais dans lesquels l'empagliflozine et la dapagliflozine ont été évalués chez des patients souffrant d'insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection réduite ont été positifs. Par la suite, l'essai EMPEROR-Preserved (Empagliflozin Outcome Trial in Patients with Chronic Heart Failure with Preserved Ejection Fraction) a montré que l'empagliflozine réduisait le risque combiné de décès cardiovasculaire ou d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque chez les patients avec une fraction d'éjection légèrement réduite (fraction d'éjection ventriculaire gauche de >40 %) ou une fraction d'éjection préservée (fraction d'éjection ventriculaire gauche de ≥50 %).
Une preuve de plus
La conception de l'essai DELIVER est proche de celle de l'essai EMPEROR-Preserved car tous deux ont examiné un antagoniste du SGLT2 chez des patients souffrant d'insuffisance cardiaque et ayant une fraction d'éjection ventriculaire gauche supérieure à 40 %, avec des critères d'inclusion et d'exclusion similaires et un résultat similaire sur le critère composite primaire.
Les principales caractéristiques de l'essai DELIVER qui le distinguent de l'essai EMPEROR-Preserved sont l'utilisation de la dapagliflozine dans l'essai DELIVER (plutôt que de l'empagliflozine) et l'inclusion de patients qui avaient auparavant une fraction d'éjection ventriculaire gauche de 40% ou moins et qui s'est ensuite améliorée pour atteindre plus de 40% (c'est-à-dire des patients souffrant d'insuffisance cardiaque et ayant une fraction d'éjection ventriculaire gauche améliorée).
En plus de confirmer plusieurs résultats de l'essai EMPEROR-Preserved, les analyses de sous-groupes pré-spécifiés de l'essai DELIVER montrent également un bénéfice chez les patients ayant une fraction d'éjection ventriculaire gauche de 60% ou plus et chez ceux ayant une fraction d'éjection ventriculaire gauche améliorée à plus de 40%. Dans des analyses supplémentaires de sous-groupes pré-spécifiés, l'essai DELIVER étend les résultats de l'essai EMPEROR-Preserved en montrant un bénéfice clair chez les patients obèse (avec un indice de masse corporelle de 30 ou plus) et chez ceux qui ont des symptômes plus sévères (classe III ou IV de la New York Heart Association).
Plusieurs études
Deux autres analyses combinées ont été présentées dans le même session de l’ESC 2022 (analyse des 2 grands essais dapagliflozine dans l’insuffisance cardiaque (DAPA-HH et DELIVER) et méta-analyse de DELIVER et EMPEROR-Preserved) qui toutes 2 confirment le bénéfice remarquable associé à la prescription de la dapagliflozine et de l’empagliflozine sur la mortalité cardiovasculaire de l’insuffisance cardiaque, quel que soit le niveau de la fraction d’éjection systolique observé.
Associées à des études antérieures chez des patients atteints d'insuffisance cardiaque avec une fraction d'éjection réduite, ces données suggèrent que la dapagliflozine et l’empagliflozine sont efficaces quelle que soit la fraction d'éjection, ce qui est enfaveur de l'utilisation des inhibiteurs du SGLT2 comme traitement pivot chez tous les patients atteints d'insuffisance cardiaque, voire comme traitement de première intention.
D’autres études sont cependant nécessaires chez les patients dont la fraction d’éjection systolique s’est améliorée sous traitement initial, ainsi que des études visant à mieux comprendre le mécanisme responsable des bénéfices des antagonistes du SGLT2 dans l’insuffisance cardiaque : l’effet-classe est possible mais pas encore démontré.