Addictologie
Alcool : une large étude autopsique révèle les dégâts d’une consommation modérée sur le cerveau
Même à doses « modérées », moins de huit verres par semaine, l’alcool augmente le risque de lésions vasculaires cérébrales et de dépôt neurofibrillaires associés à des troubles cognitifs. Les gros buveurs décèdent plus tôt et présentent davantage de dépôts neurofibrillaires, soulignant la vulnérabilité du cerveau à une consommation excessive.

- petrovv/istock
La consommation excessive d’alcool constitue un grave problème de santé publique, associée à de nombreuses maladies et à une surmortalité. Son impact précis sur les processus neurodégénératifs et vasculaires cérébraux restait toutefois insuffisamment caractérisé. Dans une vaste étude autopsique réalisée au Brésil (1 781 participants, âge moyen 74,9 ans), les chercheurs ont cherché à déterminer dans quelle mesure les consommations d’alcool (classées en « jamais », « modérées », « gros buveurs » et « anciens gros buveurs ») étaient associées à certaines lésions cérébrales : artériolosclérose hyaline, enchevêtrements de protéines tau (caractéristiques de la maladie d’Alzheimer), dépôts amyloïdes ou encore micro-infarctus lacunaires.
Les résultats, publiés dans Neurology, montrent que, comparés aux abstinents, même les buveurs modérés (jusqu’à 7 verres/semaine) auraient une probabilité accrue d’artériolosclérose hyaline (OR 1,60 ; IC à 95 % : 1,19–2,15 ; p=0,001), tandis que les gros buveurs (≥ 8 verres/semaine) seraient exposés à un risque encore supérieur (OR 2,33 ; IC à 95 % : 1,50–3,63 ; p<0,001). De plus, l’historique d’une forte consommation (« anciens gros buveurs ») resterait associé à ces mêmes lésions vasculaires (OR 1,89 ; p<0,001) et à un risque accru de dégénérescence neurofibrillaire (OR 1,31 ; p=0,029). Fait notable, ce groupe a aussi un ratio de masse cérébrale plus faible et des fonctions cognitives altérées. L’analyse de médiation a révélé que le lien entre altération cognitive et consommation excessive d’alcool s’expliquerait en grande partie par l’artériolosclérose hyaline.
La dégradation de la microcirculation cérébrale est au cœur du risque
L’étude suggère que la dégradation de la microcirculation cérébrale (hyaline arteriolosclerosis) est au cœur du mécanisme reliant alcool et déficits cognitifs. Les gros buveurs auraient également un risque plus élevé d’enchevêtrements de protéines tau, témoignant d’une vulnérabilité neurodégénérative. De surcroît, les anciens gros buveurs décèderaient en moyenne 13 ans plus tôt que les abstinents.
Bien qu’il s’agisse d’une étude post mortem, les données épidémiologiques disponibles confirment la dangerosité d’une forte consommation d’alcool sur la santé globale et le vieillissement cérébral. Dans toutes les classes de buveurs (modérés, gros, anciens gros), on observe un continuum du risque cérébrovasculaire, ce qui incite à la prudence même pour des consommations qualifiées de « modérées ».
Importance de repérer et de réduire au plus tôt les consommations excessives d’alcool
Les données proviennent d’une biobanque gériatrique au Brésil, où l’examen neuropathologique (histo-immuno-chimie, coloration HES) et la quantification des protéines anormales (tau, plaques amyloïdes, TDP-43) ont été réalisés de façon systématique. Les chercheurs ont ensuite corrélé ces marqueurs à la quantité d’alcool consommée, établie à partir de témoignages de proches et de dossiers médicaux (un verre = 14 g d’alcool). Malgré le caractère rétrospectif de l’étude et la faible précision quant à la durée réelle de consommation, la taille de l’échantillon (1 781 cerveaux) renforce la pertinence des résultats, suggérant un effet cumulatif et délétère de l’alcool sur la microcirculation et la neurodégénérescence.
Selon les auteurs, ces données confortent l’importance de repérer et de réduire au plus tôt les consommations excessives d’alcool afin de prévenir un déclin cognitif accéléré, notamment via le dépistage et la prise en charge des facteurs de risque vasculaires. Elles justifient également de sensibiliser les patients, même buveurs modérés, à l’impact potentiel d’une consommation répétée sur le cerveau. Les futures recherches devront explorer la réversibilité (ou non) de ces lésions en cas de sevrage, en s’appuyant sur des cohortes prospectives avec une quantification plus précise de l’alcool ingéré et du suivi de la fonction cognitive. Enfin, des études interventionnelles ciblant la prévention de l’artériolosclérose (contrôle de la pression artérielle, amélioration du style de vie) pourraient s’avérer déterminantes pour limiter la progression des lésions liées à l’alcool et réduire la charge globale des démences vasculaires et neurodégénératives.