Dermatologie
Psoriasis : un traitement efficace peut-il prévenir un rhumatisme psoriasique ?
Le rhumatisme psoriasique (RP) touche environ un tiers des personnes atteintes de psoriasis, le plus souvent secondairement. Lors du congrès 2024 de l'EULAR, les nouvelles données issues de Big Data suggèrent qu'il serait possible de prévenir l'évolution d’un psoriasis cutané vers un rhumatisme psoriasique. Il s'agit de prévenir la mémoire épigénétique de la peau et l'installation de lymphocytes T mémoire résidents.
- Денис Безобразов/istock
La prévalence estimée du rhumatisme psoriasique (RP) chez les personnes atteintes de psoriasis varie globalement entre 6 % et 42 %, et dans la plupart des cas (79 à 80% des cas), les symptômes cutanés précèdent le rhumatisme psoriasique, ce qui fait du psoriasis cutané une cause possible de rhumatisme psoriasique. En supposant qu'il existe des voies communes dans la pathogenèse, il est possible qu'un traitement rigoureux du psoriasis modéré à sévère réduise la progression vers le RP.
Les traitements biologiques sont très efficaces pour contrôler le psoriasis cutané, mais il n'y a pas de preuves cliniques que ces traitements peuvent empêcher ces patients de développer secondairement un rhumatisme psoriasique. Des facteurs de risque de cette transition cutanéo-articulaire ont déjà été identifiés par un groupe de travail de l'EULAR. L'identification du profil des patients atteints de psoriasis susceptibles de développer une maladie conjointe est essentielle dans l'idée de prévenir un rhumatisme psoriasique invalidant et potentiellement destructeur.
Une étude sur plus 1 000 000 de psoriasis cutanés
Une étude rétrospective a utilisé les Big Data du réseau mondial Trinetx et ses dossiers électroniques, ce qui a permis d'examiner 1 101 000 personnes atteintes de psoriasis dont 869 000 sans rhumatisme psoriasique afin de comparer l'incidence des nouveaux cas de rhumatisme psoriasique entre ceux qui ont reçu un traitement biologique en première ou en deuxième intention pour leur psoriasis cutané. Ces traitements comprenaient des anti-TNF et des biologiques dirigés contre différentes interleukines : IL-12i, IL-23i, IL-17i et IL-12/23i.
Les résultats montrent que le risque de développer un rhumatisme psoriasique pendant le traitement de première intention est inférieur de 37% avec un IL-12/23i et de 39% avec un IL-23 par rapport aux anti-TNF sur 5 ans. Pour ceux qui ont reçu une biothérapie comme second traitement, le risque est 32% plus faible avec un IL-12/23i et 31% plus faible avec un IL-23 à 3 ans qu'avec un anti-TNF en première ligne.
Dans le traitement de première et de seconde ligne, un IL-23i aurait également une probabilité 47% plus faible de développer un rhumatisme psoriasique par rapport à un IL-17i à 3 et 5 ans.
Des informations sur le risque de conversion associé à différents biologiques
Ce type d'analyses basées sur les « Big Data » offre l'opportunité d'obtenir des informations sur l'efficacité potentielle des médicaments et des biothérapies chez les patients souffrant de psoriasis cutané. Cette étude de grande envergure explore l'incidence des rhumatismes psoriasiques dans des cohortes appariées et ajustées avec un suivi jusqu’à 5 ans.
Selon ces données, un IL-12/23i et un IL-23 réduiraient l'incidence des rhumatismes psoriasiques par rapport aux anti-TNF et aux IL-17i, tant chez les patients naïfs de tout traitement (recommandations allemandes) que chez les patients qui les reçoivent en 2ème intention.
La mémoire épigénétique de la peau
La physiopathologie du psoriasis cutané fait intervenir une phase d’activation immunitaire initiale de l’axe IL-23/IL-17 et la production de TNF sous l’influence de différents facteurs environnementaux (obésité, stress biomécanique, infections) et génétiques (ATCD familiaux, HLA B27). Puis ces phénomènes s’amplifient avec éventuellement une 2ème vague d’agression, et éventuellement l’intervention du microbiote cutané, pour arriver à des anomalies épigénétiques dans la peau et la conversion vers le rhumatisme psoriasique.
Des études ont montré que la normalisation épigénétique (DNA methylation) au niveau de la peau lésionnelle ne se produit que dans le groupe de patients nouvellement diagnostiqués (dès S16), alors qu’il reste une cicatrice moléculaire dans la cohorte de patients chroniques qui ont un psoriasis depuis plus de 5 ans (S52). Il s’agit donc de prévenir la mémoire acquise (accessibilité de la chromatine par l’ouverture des domaines mémoire et modification des histones avec méthylation de l’ADN…) par les cellules épithéliales et les kératinocytes.
L’idée est de prévenir d’une part cette cicatrice cutanée épigénétique parallèlement à prévenir l’acquisition d’une mémoire cellulaire des lymphocytes T résidents mémoires dans la peau et d’ainsi éviter la conversion du psoriasis cutané vers le rhumatisme psoriasique.
Au fur et à mesure que les connaissances augmentent, l'idée de prévenir les rhumatismes psoriasiques avant qu'ils ne deviennent cliniquement apparents devient possible.