Gériatrie
Grand âge et perte d’autonomie : quels enjeux pour le virage domiciliaire ?
Présenté comme l’alpha et l’oméga de la gestion du grand âge, le maintien à domicile ou « virage domiciliaire » devient de plus en plus compliqué au fur et à mesure que l’âge progresse et que la perte d’autonomie s’installe. Surtout, il est de plus en plus coûteux.
- Ridofranz/istock
En France, l'augmentation de l'espérance de vie entraîne une croissance du nombre de personnes âgées, notamment celles de plus de 85 ans. Cette évolution démographique s'accompagne de défis médicaux spécifiques. À ce titre, le grand âge et le virage domiciliaire constituent un sujet de préoccupation croissante pour le système de santé en France. Les défis liés à la prise en charge des personnes âgées à domicile deviennent de plus en plus complexes avec la poursuite du vieillissement. Les pathologies chroniques, telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète, les troubles sensoriels ou les troubles cognitifs, deviennent plus prévalentes.
En 2021, près de 2 millions de personnes âgées de 60 ans ou plus déclarent être gênées dans les activités de la vie quotidienne (11%) et 1,3 million sont bénéficiaires de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), soit 8 %. L’allongement de la durée de vie vers des âges où la probabilité de perdre son autonomie augmente, devrait induire une progression du nombre de personnes âgées dépendantes et de bénéficiaires de l’APA dans les années à venir. Cette augmentation est estimée par la DREES à plus de 350 000 bénéficiaires de l’APA supplémentaires d’ici à 2040, soit une augmentation de 29 % par rapport à 2020.
Virage domiciliaire : avantages et enjeux
Le virage domiciliaire, qui favorise le maintien à domicile des personnes âgées, est encouragé pour plusieurs raisons. D'une part, il répond à la préférence de nombreuses personnes âgées de vieillir dans leur environnement familier. D'autre part, il est perçu comme une solution pour désengorger les structures de soins de longue durée et maîtriser les coûts de santé.
Cependant, ce virage implique des enjeux majeurs. Il nécessite une coordination efficace entre les différents acteurs de santé (médecins, infirmiers, aides à domicile) et une adaptation de l'environnement domestique pour prévenir les risques de chutes et autres accidents.
Face aux prévisions d’évolution du nombre de personnes âgées dépendantes et dans l’optique d’un « virage domiciliaire », l’Institut des Politiques Publiques a calculé que les effectifs d’aides professionnelles nécessaires à la prise en charge de la perte d’autonomie à domicile et en Ehpad devraient augmenter respectivement de 42% et de 14% d’ici à 2040 par rapport à 2020.
Innovations et technologies
Pour soutenir ce virage domiciliaire, l'innovation technologique peut bien sûr jouer un rôle. La télémédecine, par exemple, permet un suivi régulier et à distance des patients, facilitant ainsi la gestion des maladies chroniques et la détection précoce des complications. Les technologies d'assistance, telles que les capteurs de mouvement ou les dispositifs d'alerte médicale, contribuent à la sécurité des seniors à domicile.
Par ailleurs, le développement d'applications mobiles de santé et de plateformes en ligne peut faciliter la communication entre les patients, leurs familles et les professionnels de santé.
Formation et sensibilisation
Face à ces enjeux, la formation des professionnels de santé au sujet des spécificités du grand âge est essentielle. Cela inclut la compréhension des aspects psychologiques du vieillissement, la gestion des maladies chroniques et la connaissance des ressources disponibles pour le soutien à domicile. De plus, il est important de sensibiliser la population et les familles aux défis du vieillissement, afin de promouvoir une approche proactive de la santé et du bien-être dans le grand âge.
Mais pour faire face aux besoins de recrutement dans les métiers de l’aide et du soin afin d’accompagner le virage domiciliaire, des revalorisations salariales semblent indispensable mais vont accroître le coût de la prise en charge.
Des coûts en croissance
Selon l’Institut des Politiques Publiques, à politique publique de prise en charge inchangée, sans modification des coûts horaires, ni de la part de la participation publique dans les dépenses de prise en charge, l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’APA conduirait à une hausse de 30 % des dépenses totales d’APA entre 2020 et 2040.
Sous l’hypothèse d’une hausse tendancielle du coût de l’aide (à domicile et en Ehpad) et d’une augmentation des plafonds des plans d’aide, la dépense totale d’APA augmenterait ainsi de 4,8 milliards d’euros d’ici à 2040, soit 80 % par rapport à 2020 (en euros réels). La dépense d’APA par bénéficiaire augmenterait de 40 %, une hausse élevée mais moindre que celle observée sur les 20 dernières années.
En supposant que les plans d’aide notifiés sont exécutés en totalité, les dépenses d’APA pourraient ainsi quasiment doubler entre 2020 et 2040 pour atteindre 12,4 milliards d’euros. Au total, une politique accompagnant le virage domiciliaire pourrait coûter 4,6 milliards d’euros de plus qu’une politique sans mesure d’accompagnement en 2040.
Conclusion
Le grand âge et le virage domiciliaire représentent un défi majeur pour le système de santé français. Alors que la population vieillit, il est crucial d'adapter les soins, de promouvoir les innovations technologiques et de former les professionnels de santé, afin d'assurer une prise en charge de qualité et respectueuse des souhaits des personnes âgées. Cette transition vers le maintien à domicile des seniors n'est pas seulement une question médicale, mais aussi sociale, nécessitant une approche holistique et coordonnée.
Bien que le virage domiciliaire présente des défis financiers, il offre une perspective de réduction des coûts à long terme, comparé à la dépendance aux structures de soins de longue durée. L'accent mis sur la prévention, le soin à distance, et l'adaptation des logements est susceptible d'optimiser les dépenses et d'améliorer la qualité de vie des personnes âgées.
Les données statistiques et financières sont tirées d’une nouvelle étude de l’Institut des Politiques Publique intitulée « Perte d’autonomie des personnes âgées : quels besoins et quels coûts pour accompagner le virage domiciliaire ? » Pauline Mendras. Notes IPP, n°97, novembre 2023, ISS ? 1959-0199. www.ipp.eu