Diabétologie
Complications oculaires et agonistes du GLP1 : mythe ou réalité ?
Les agonistes des récepteurs des incrétines (GLP1-RA, GIPA) tels que le sémaglutide et le tirzépatide sont aujourd’hui largement prescrits pour le diabète de type 2 et l’obésité. Des complications ophtalmologiques rares mais graves (neuropathies optiques et atteintes rétiniennes) soulèvent la question d’un lien potentiel, direct ou indirect, avec la correction rapide de l’hyperglycémie.
- Jacob Wackerhausen/istock
Les médicaments à base d’incrétines (sémaglutide, tirzépatide) connaissent un essor considérable pour la prise en charge du diabète de type 2 (DT2) et de l’obésité. En 2023, les dépenses liées au sémaglutide ont dépassé 38 milliards de dollars, avec près de 1,7 % de la population américaine ayant reçu une prescription de cette molécule.
Les données existantes soulignent une efficacité notable sur le contrôle glycémique et la perte de poids. Toutefois, des alertes ont émergé quant au risque de complications ophtalmologiques : d’abord un risque accru de rétinopathie diabétique dans le cadre de l’essai SUSTAIN 6, puis une suspicion de majoration du risque de neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (NAION).
C’est dans ce contexte qu’une étude rétrospective a rassemblé neuf patients (âge moyen : 57,4 ans ; 5 femmes et 4 hommes) ayant souffert de différents événements ophtalmologiques potentiellement liés à ces traitements. Parmi eux, sept présentaient une NAION, un cas de papillite bilatérale et un cas de paracentral acute middle maculopathy (PAMM). Les résultats, publiés dans JAMA Ophthalmology, mettent en évidence des atteintes souvent atypiques (progression bilatérale, séquentielle ou aggravation progressive) suggérant plusieurs mécanismes possibles, dont un effet direct du médicament ou, possiblement, l’impact d’une diminution trop rapide de la glycémie sur la vascularisation optique.
Neuf événement ophtalmologique (NAION, papillite ou PAMM)
Parmi les sept cas de NAION rapportés, trois correspondaient aux formes classiques (unilatérales, survenant le plus souvent au réveil, avec œdème papillaire caractéristique et altérations du champ visuel). Les quatre autres avaient des particularités : atteinte bilatérale d’emblée, progression lente sur plusieurs semaines ou rechute après une nouvelle injection de sémaglutide. Dans le cas de la papillite bilatérale (un seul patient), l’œdème des deux nerfs optiques était inhabituel pour une simple papillite diabétique, qui est plutôt unilatérale. Enfin, le patient souffrant de PAMM présentait une atteinte maculaire spécifique au niveau de la plexus capillaire profond, sans signe de vascularite à cellules géantes.
La tolérance générale aux incrétines (GLP1-RA) est habituellement considérée comme satisfaisante. Cependant, les observations de NAION avec certains autres médicaments (ex. : inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5, amiodarone) rappellent que divers mécanismes, dont l’hypotension nocturne ou l’augmentation transitoire d’un œdème du nerf optique, peuvent favoriser des infarctus optiques. Dans cette série, le fait qu’une patiente ait eu des symptômes immédiatement après deux injections successives de sémaglutide laisse également envisager une réaction idiosyncrasique. Pour d’autres patients, la diminution rapide de la glycémie semble associée à un gonflement du nerf optique (compartment syndrome) conduisant à l’infarctus optique. Ce phénomène est appuyé par des réductions significatives d’HbA1c dans plusieurs cas, pouvant expliquer l’œdème papillaire et, secondairement, la NAION.
Une étude rétrospective non contrôlée
Ces données proviennent d’une étude rétrospective, non contrôlée, réalisée dans un contexte de pratique communautaire. Tous les patients ont eu un événement ophtalmologique (NAION, papillite ou PAMM) survenant au cours d’un traitement par sémaglutide ou tirzépatide. Les auteurs soulignent plusieurs limites : l’absence de groupe témoin, le risque de biais de sélection et la difficulté d’établir un lien de causalité formel. L’initiation de l’étude après un premier cas de NAION associé au sémaglutide renforce la possibilité d’un biais de confirmation. De futures études, plus étendues et prospectives, seront nécessaires pour déterminer l’incidence réelle de ces complications, préciser leur mécanisme physiopathologique (toxicité directe versus correction glycémique trop rapide) et confirmer la possible implication de récepteurs GLP1 dans les cellules ganglionnaires de la rétine.
Selon les auteurs, les médecins prescripteurs doivent être alertés de l’éventualité de complications ophtalmologiques chez leurs patients avec un diabète de type 2 et recevant un GLP1-RA. Une surveillance ophtalmologique adaptée, en particulier chez les personnes à risque ou ayant déjà une rétinopathie, pourrait s’avérer judicieuse. L’Académie Américaine d’Ophtalmologie recommande de ne pas interrompre systématiquement ces traitements, mais de procéder à une évaluation rapide en cas de perte visuelle. Il est également suggéré d’envisager une titration plus progressive de la dose afin d’éviter une chute trop brutale de la glycémie, surtout chez des patients dont l’HbA1c est initialement très élevée.
Dans l’attente d’études plus robustes, la prudence consiste à informer les patients et à renforcer la collaboration entre endocrinologues, ophtalmologistes et médecins généralistes pour dépister précocement et gérer rapidement toute complication visuelle.