Télé-suivi ou télé-flicage ?
Apnée du sommeil : suivre le traitement pour être remboursé
Pour la première fois en France, des patients ne sont remboursés que s'ils sont observants. Cette mesure qui concerne l'apnée du sommeil divise malades et médecins.
Petite révolution dans le système de santé français... Pour la première fois un traitement n’est remboursé que si le malade l’utilise. En clair, le malade n’est pris en charge financièrement que s’il est observant. Ce changement des conditions de remboursement a eu lieu dans le traitement de l’apnée du sommeil. Ainsi, depuis octobre 2013, toutes les personnes qui disposent d’un appareil de pression positive continue (PPC), ne seront remboursées que si elles l’utilisent au moins trois heures par nuit durant au moins 20 jours par mois.
Un dispositif prescrit à 600 000 personnes
« La télésurveillance dans le traitement des apnées obstructives du sommeil (SAOS ) : Télé-flicage ou télé-suivi au service du patient ?» Les pneumologues s'interrogent en ses termes lors du du Congrès de pneumologie qui s’ouvre aujourd’hui à Marseille. Et pourquoi cette mesure de la part de l’assurance maladie ? Le dispositif médical de PPC est installé gratuitement au domicile via un système de location, pour un coût d’environ 80 euros par mois. Ce système de ventilation mécanique qui génère un débit d'air important au niveau du pharynx pour maintenir les voies respiratoires ouvertes et éviter ainsi les apnées, donne d’assez bons résultats. Il est prescrit à plus 600 000 Français.
Mais son utilisation est assez contraignante. Porter un masque durant toute la nuit est souvent mal supporté par les malades. Il est donc fréquent qu’ils délaissent peu à peu son utilisation. Un gaspillage que l'assurance maladie ne souhaite plus assumer. Pour surveiller les malades, les appareils de PPC sont équipés d’un mouchard qui enregistre le nombre d’heures pendant lequel il est utilisé. En-dessous de trois heures d’utilisation par nuit pendant deux mois, le taux de prise en charge par la sécurité sociale chutera de moitié. Au bout de quatre mois de mauvaise observance, le remboursement est inexistant et aucune nouvelle prise en charge ne sera acceptée avant six mois.
Une surveillance qui n'implique pas le patient
Cette mesure fait grincer les dents des médecins. « Inciter les malades à être observants ne nous paraît pas choquant, mais cette mesure économique ne se fonde pas sur des arguments médicaux », explique le Dr Sylvie Royant-Parola, psychiatre, spécialiste du sommeil, et présidente du réseau Morphée. « Aucune étude scientifique ne permet de fixer si 3 heures d’observance est effectivement le seuil à partir duquel le traitement est efficace ». « La principale critique que l’on pourrait émettre porte sur ces trois heures, souligne Alain Didier, président de la société de pneumologie de langue française. Trois heures, c’est trop peu pour avoir un bénéfice sur la mortalité cardiovasculaire mais chez certains patients, une ou deux heures suffisent pour obtenir une amélioration de la vigilance et de l’état général.»
En outre, les médecins regrettent que le système ne se limite qu’à de la surveillance, « le médecin du malade n’est pas impliqué, il n’y a pas d’élément d’éducation thérapeutique, souligne le Dr Sylvie Royant-Parola. Il est regrettable que l’assurance maladie n’ait pas attendue la fin de notre expérimentation sur un vrai système de télémédecine, où le médecin accompagne le malade par de l’éducation, le suit à distance, peut lui envoyer des messages d’alerte. » Cette expérimentation, intitulée Respir@dom, sera exposée lors du congrès de pneumologie.
Ecouter le Dr Sylvie Royant-Parola, présidente du réseau Morphée. « Au total il y aura 200 patients inclus dans l’expérimentation. Et les premières données indiquent qu’ils sont plus observants. »
88% des malades adhèrent au système
Le point de vue des médecins ne semble pas être totalement partagé. 88 % des malades jugent le système de déremboursement acceptable selon un sondage commandé par la fédération des prestataires de santé à domicile (PSAD). « Le télésuivi qui a été vu par certains comme intrusif est finalement perçu par les patients concernés comme une aide à la bonne observance et comme une amélioration de la relation du patient avec son médecin et son prestataire de santé à domicile,» estime Olivier Lebouché, président de la fédération.
Cependant, la sécurité et le respect de l’anomymat des données dans le système de télésuivi font débat chez les médecins et les malades. « Je connais un médecin souffrant d’apnée du sommeil qui a reçu un courrier du prestataire de PPC lui indiquant en tant que médecin qu’il était dans les clous concernant le respect des règles de remboursement, mais deux jours après il recevait en tant que patient un courrier inverse où le prestataire lui expliquait qu’il ne respectait pas les temps d’utilisation nécessaires au remboursement,» raconte le Dr Sylvie Royant-Parola. En outre, la CNIL n’a toujours pas rendu son avis sur ce dispositif.
Ecouter le Dr Sylvie Royant-Parola, présidente du réseau Morphée. « On a mis la charrue avant les bœufs. »
De son côté, la Fédération française des associations et amicales de malades, insuffisants ou handicapés respiratoires (FFAAIR) a déposé devant le conseil d’Etat un recours contre la mesure de télésuivi de la PPC. Elle soupçonne aussi l’assurance maladie de vouloir étendre ce type de surveillance à d’autres dispositifs médicaux. « Un autre récent projet de décret, relatif aux modalités de prise en charge de dispositifs médicaux et prestations associées pour l’oxygénothérapie, évoque également l’évaluation de l’observance du traitement par le médecin prescripteur, a indiqué Alain Murez, le président de FFAAIR C’est dire que l’on s’intéresse particulièrement aux insuffisants respiratoires. »