Témoignage patient
Cancer du sein triple négatif : « Le deuil de la maternité est pour moi le plus compliqué à vivre »
A seulement 35 ans, Juliette se bat depuis des années contre un cancer du sein triple négatif. Alors que l’opération Octobre rose touche à sa fin, elle nous raconte son éprouvant et courageux parcours.
C’est un parcours difficile qui commence par une erreur médicale. À 30 ans, Juliette est prise de douleur à la poitrine et sens une boule sur le dessus de son sein gauche. Inquiète, elle demande un premier rendez-vous à sa gynécologue, qui lui oppose une fin de non-recevoir. "Elle m’a dit qu’à 30 ans, je n’étais pas concernée par le cancer du sein et qu’elle ne pouvait pas prendre en urgence toutes les femmes qui ont mal à la poitrine", se rappelle-t-elle.
Un mois plus tard, Juliette retrouve la professionnelle de santé pour son frottis annuel, fixé de longue date. "Je lui redis que je sens toujours cette boule et cette douleur. Elle me palpe en profondeur, ne sent rien et me dis que c’est surement inflammatoire. Je rentre alors chez moi sans aucune prescription, rassurée mais toujours travaillée par mes problèmes qui ne passent pas", se souvient la jeune femme.
Cancer du sein triple négatif : un diagnostic compliqué à obtenir
Ses collègues lui conseillent alors de retourner voir son médecin traitant, avec qui elle entretient de très bonnes relations. Elle hésite, freinée à l’idée de parler de son souci à un homme. "J’apprends alors qu’il est en vacances et que son remplaçant est une femme. Je prends donc rendez-vous, en me disant que ce sera plus facile. Lors de l’auscultation, je change de méthode, en lui montrant plus précisément où je sens la boule. Cette fois, l’interne présent et la docteure identifient qu’il y a bien quelque chose. On me prescrit donc une mammographie et une échographie", raconte-t-elle.
La mammographie ne donne rien, mais l’échographie est plus inquiétante. S’en suivront une IRM mammaire et une biopsie, réalisées dans la torpeur du mois d’août. "J’apprends que les résultats vont tomber à la fin du mois, alors que je suis en vacances avec toute ma famille. Je demande donc à mon généraliste de décaler la consultation, parce que je pressens que les résultats ne vont pas être terribles. Le lundi à 20 heures, il m’annonce que c’est un cancer du sein agressif à traiter en urgence", témoigne Juliette.
Notre Caennaise décide d’envoyer ses résultats à la gynécologue, qui la rappelle. "Je lui demande comment elle a pu passer à côté de deux centimètres de tumeur, elle me dit qu’elle ne sait pas quoi me dire. Je lui reproche alors de ne pas m’avoir prescrit d’examen, parce que oui, cela coûte cher à la Sécu, mais ça sauve des vies ! Elle me répondra que ce n’est pas sa manière de faire", déplore-t-elle.
Juliette mettra du temps à le réaliser, mais elle souffre d’un cancer du sein triple négatif. Due dans environ 30 % des cas à une mutation génétique, cette pathologie assez rare est particulièrement invasive et difficile à traiter, avec une survie à 5 ans inférieure à 20 % au stade métastatique.
Cancer du sein triple négatif : quels traitements ?
La trentenaire entame ainsi toute une série de soins. Après s’être mise en arrêt maladie, elle se fait d’abord enlever le sein malade, puis enchaine sur deux protocoles de préservation de ses ovocytes afin de conserver ses chances d’avoir un enfant avec son conjoint. Elle entame ensuite une chimiothérapie puis une radiothérapie, et, face au succès des traitements, reprend son travail.
7 mois après, le cancer récidive, avec des nodules pulmonaires et des lésions osseuses à l’omoplate. Juliette reprend alors une immunothérapie couplée à une chimiothérapie. "Les résultats de ce nouveau traitement sont bons. Au bout de 9 mois, la maladie a régressé, ce qui me permet d’arrêter l’immunothérapie. Mais quelques semaines après, je me mets à avoir des vertiges. Je passe donc une IRM, qui montre que j’ai des nodules au cerveau. Je prends alors conscience du triple négatif et de l’état métastatique. Je réalise aussi que je ne guérirais jamais. Je prends tout ça en pleine face, trois jours avant Noël. Comme nous sommes en plein Covid, j’apprends toutes ces mauvaises nouvelles seule, face à mon oncologue. Ma mère m’attend dans la voiture, et je dois lui annoncer que j’ai des lésions cérébrales. C’est le moment le plus difficile de mon parcours", se rémémore cette responsable adjointe d’exploitation (transport et logistique) avec émotion.
Malgré les multiples effets secondaires des traitements testés (fatigue chronique, nausées quotidiennes, brulures très importantes, chutes d’hémoglobine...), Juliette ne baisse pas les bras. Porteuse de la mutation BRCA1, elle entame des séances de radiothérapie ciblée au niveau du cerveau et un traitement par inhibiteurs de PARP, qui lui permettront encore une fois de repousser la maladie, de retrouver une vie normale et même de reprendre son travail.
"Ça dure plus d’un an, puis le TEP-scan remontre des lésions cérébrales, pulmonaires et hépatiques. Je suis alors obligée d’arrêter mon traitement et de commencer celui pour lequel on s’est tant battu avec le collectif des triplettes : le Trodelvy. Je reperds alors immédiatement mes cheveux pour la troisième fois", retrace notre patiente. "Je prends ce traitement depuis 17 mois, et je suis grâce à lui aujourd’hui en rémission métabolique complète, même si les médecins suspectent actuellement une lésion sur une cote. Je dois le faire toutes les semaines, après quoi je suis couchée pendant deux jours, donc je suis en arrêt depuis un an et demi", explique-t-elle.
Cancer du sein triple négatif : "la maladie a soudé notre couple"
Malgré toutes les épreuves et la mort qui rode, l’amour est là. De la part des proches, bien sûr, mais aussi de la part de son conjoint, qui lui apporte un soutien sans faille depuis le début de la maladie. "Il est d’une aide incroyable. Il vient me chercher à chaque chimio, il s’organise avec son travail pour être là et me tenir la main à chaque rendez-vous, il n’en loupe pas un", s’émerveille Juliette. "Je pense que quelque part, la maladie nous a soudés, les épreuves nous ont renforcés. Et cela ne nous empêche pas d’avancer : on s’est marié l’année dernière et nous avons même fait construire malgré le fait que je n’ai pas pu obtenir d’assurance", se réjouit-elle. "Nous avons aussi un rapport particulier à la vie, que l’on projette sur une échelle de trois mois, au rythme des TEP-scan : on profite plus intensément de chaque jour, de chaque voyage, de chaque moment passé avec nos proches", poursuit-elle.
Au vu de l’état de santé de Juliette, le couple a pour le moment renoncé à devenir parents. Trop de fatigue et pas assez de certitudes concernant son espérance de vie. "Je m’accroche bien sûr à un miracle, mais on n’a pas envie de prendre le risque de priver un enfant de sa mère. Ce deuil de la maternité est pour moi le plus compliqué à vivre, même si un suivi psychologique m’a permis de mieux l’accepter", confie-t-elle avec regret.
Aujourd’hui, Juliette espère l’arrivée de nouveaux traitements moins difficiles à supporter pour pouvoir reprendre son activité professionnelle. Elle souhaiterait aussi que les Françaises atteintes d’un cancer du sein triple négatif aient toutes les mêmes chances de s’en sortir. "Actuellement, les femmes qui ne sont pas soignées dans les grands centres d’oncologie accèdent à moins de traitements innovants et à moins d’essais cliniques", souligne la militante. "Il faudrait aussi davantage informer les professionnels de santé sur les risques de cancer du sein triple négatif. Au sein du collectif, on a toutes déjà été confrontées à une sage-femme, un gynécologue ou un radiologue qui nous ont expliqué que le cancer du sein ne concernait pas les femmes jeunes, ce qui est faux, retarde les diagnostics et diminue les chances de guérison. Si mon cancer avait été pris plus tôt, je n’aurais peut-être pas métastasé", insiste-t-elle. "Il faudrait également former les Françaises à l’autopalpation des seins tous les mois afin de favoriser les dépistages", conclut-elle.
En France, le cancer du sein triple négatif touche 9000 femmes chaque année, souvent très jeunes : 40% des patientes diagnostiquées ont moins de 40 ans.