Gastro-entérologie
Hyperchylomicronémie persistante : la révolution des ARN interférents
Le plozasiran, un petit ARN interférent ciblant l’apolipoprotéine C-III, diminue fortement les taux de triglycérides. Chez des patients atteints d’hyperchylomicronémie persistante, il s’accompagne d’une réduction notable des épisodes de pancréatite aiguë.
- Panuwat Dangsungnoen/istock
L’hyperchylomicronémie persistante se caractérise par des taux de triglycérides (TG) à jeun extrêmement élevés (souvent >880 mg/dL) liés à une déficience du système de clairance lipolytique. À l’origine de dépôts lipidiques cutanés ou rétiniens, cette hypertriglycéridémie extrême augmente le risque cardiovasculaire, mais surtout le risque de pancréatite aiguë à répétition, à l’origine d’une morbidité élevée. Si la forme la plus classique résulte d’une mutation autosomique récessive (syndrome d’hyperchylomicronémie familiale, ou SHCF), des variantes plus fréquentes (syndrome multifactoriel) miment souvent la présentation clinique.
Les traitements actuellement disponibles (statines, fibrates, acides gras oméga-3) ont une efficacité limitée pour prévenir les épisodes de pancréatite dans ces contextes d’hyperchylomicronémie marquée. Bien que la diète très pauvre en lipides (<10-20 % des calories totales) reste la pierre angulaire de la prise en charge, son observance est difficile et de nombreux patients conservent un risque résiduel élevé.
Le rôle clé de l’apolipoprotéine C-III dans le SHCF
À ce jour, de nouvelles approches ciblent l’apolipoprotéine C-III (Apo C-III), une glycoprotéine qui inhibe l’activité de la lipoprotéine lipase, freine la clairance hépatique des particules riches en TG et stimule la production hépatique de VLDL. Le plozasiran, un petit ARN interférent (siARN) ciblant l’ARNm hépatique de l’Apo C-III, diminue d’environ 86 % le taux de TG chez les patients présentant une hyperchylomicronémie persistante, selon des données préliminaires de phase 1.
Sur cette base, l’essai clinique de phase 3 (PALISADE) a randomisé 75 patients avec ou sans diagnostic génétique confirmé pour recevoir du plozasiran (25 mg ou 50 mg) ou un placebo tous les trois mois pendant un an. Le critère principal (variation médiane du taux de TG à 10 mois) favorise nettement le siARN (–80 % et –78 % dans les groupes 25 mg et 50 mg, contre –17 % sous placebo ; p<0,001). De plus, l’incidence de pancréatite aiguë est significativement réduite (OR : 0,17 ; IC à 95 % : 0,03–0,94). L’étude est publiée dans le New England Journal of Medicine.
Un petit ARN interférent bien toléré
Un petit ARN interférent (siARN) est un court ARN double brin (habituellement 21-25 nucléotides) spécifique d’une séquence ARN ciblée. Une fois à l’intérieur de la cellule, le brin « guide » du siARN est incorporé dans le complexe RISC (RNA-induced silencing complex). Le complexe ainsi formé reconnaît spécifiquement un ARN messager (ARNm) complémentaire, puis le dégrade spécifiquement.
Le traitement par siARN entraîne une baisse d’environ 90 % des taux d’Apo C-III et se révéle efficace quel que soit le statut génétique (chylomicronémie familiale ou multifactorielle). La diminution des TG s’établit autour de 50 à 60 % comparativement au placebo.
Concernant la tolérance, la fréquence des effets indésirables (dont douleurs abdominales, céphalées et nausées) est demeurée similaire entre les groupes, mais on note une tendance à moins d’événements sévères sous plozasiran. Il est toutefois rapporté quelques cas d’hyperglycémie chez des patients avec prédiabète ou diabète, nécessitant donc une surveillance métabolique.
Ces résultats complètent les données issues d’autres approches anti-Apo C-III (volanesorsen, olezarsen). La réduction marquée du risque de pancréatite sous plozasiran, concordante avec les observations antérieures, confirme l’intérêt thérapeutique de cibler l’Apo C-III pour prévenir cette complication sévère de la chylomicronémie persistante. Il reste toutefois à confirmer la durabilité de l’effet au-delà de 12 mois et à mieux cerner les sous-populations (ex. : patients avec facteurs environnementaux ou comorbidités métaboliques) qui pourraient le plus en bénéficier.
Un essai randomisé en double aveugle versus placebo de phase 3
Les données proviennent d’un essai de phase 3 randomisé en double aveugle, réalisé sur 75 patients avec hyperchylomicronémie persistante (TG >880 mg/dL), incluant à la fois des cas de SHC génétiquement confirmés et d’autres formes polyfactorielles (les plus fréquentes). Le recours à un double bras de traitement (25 mg ou 50 mg) permet d’identifier un schéma posologique efficace et potentiellement flexible selon la sévérité ou la tolérance individuelle. Cette hétérogénéité de patients renforce la représentativité de l’étude pour la pratique courante, sachant que la majorité des hyperchylomicronémies extrêmes sont d’origine multifactorielle.
D’après un éditorial associé, ces résultats suggèrent qu’inhiber l’Apo C-III procure une protection significative contre les épisodes de pancréatite aiguë et ses récidives, en complément d’une réduction marquée des TG. Le potentiel d’élargir cette approche aux formes plus modérées d’hyperchylomicronémie ou à d’autres hypertriglycéridémies sévères reste ouvert : des études contrôlées et de plus grande ampleur seront nécessaires pour établir un bénéfice clinique certain en prévention de la pancréatite ou des événements cardiovasculaires liés à l’hypertriglycéridémie. Par ailleurs, l’innocuité métabolique (risque d’hyperglycémie) devra être suivie de près, en particulier chez les patients à risque.
En conclusion, le plozasiran, un petit ARN interférent offre une voie thérapeutique prometteuse pour les patients dont la chylomicronémie résiste aux interventions diététiques et aux hypolipémiants conventionnels. La validation de son efficacité et de sa sécurité à plus long terme pourrait changer les pratiques, en permettant de gérer plus efficacement le fardeau des hyperchylomicronémie extrêmes et d’en réduire l’une des complications les plus graves, la pancréatite aiguë.