Nutrition
Multivitamines chez l’adulte sain : aucun bénéfice démontré sur la santé
Une vaste analyse de trois cohortes américaines totalisant plus de 390 000 participants suivis sur 20 ans montre qu’une supplémentation quotidienne en multivitamines chez l’adulte sain n’est pas associée à une réduction de la mortalité et il existe un doute sur leur innocuité. Ces données incitent à reconsidérer les bénéfices préventifs supposés de ces suppléments, qui peuvent parfois contenir des substances potentiellement dangereuses.
- seamartini/istock
La consommation régulière de multivitamines est répandue dans de nombreux pays, dont les États-Unis, et fait l’objet d’une promotion importante sur les réseaux sociaux. Le principal objectif avancé par ces consommateurs de multivitamines est l’amélioration ou le maintien de leur santé, notamment pour prévenir les maladies chroniques. Pourtant, les preuves scientifiques sur le lien entre la consommation prolongée de multivitamines et la mortalité restent controversées. Les recommandations récentes, telles que celles de l’US Preventive Services Task Force (USPSTF), ont souligné l’insuffisance de données scientifiques fiables, pointant un suivi trop court dans les essais cliniques et une validité externe limitée.
Cette analyse, publiée dans la revue JAMA Network, intégrant plus de 390 000 adultes sans antécédent majeur de cancer ou de maladie chronique, issus de trois vastes cohortes prospectives américaines, couvre une durée d’observation dépassant 20 ans avec plus de 164 000 décès recensés. Le résultat principal est sans équivoque : la consommation quotidienne de multivitamines ne s’accompagne pas d’une baisse de la mortalité toutes causes confondues. En effet, après ajustement multivarié, le risque de mortalité reste stable, voire légèrement augmenté (HR ≈1,04 ; IC 95% autour de 1,00-1,07) chez les consommateurs de multivitamines comparés à ceux qui n’en prennent pas, et ce tant dans la première moitié du suivi que dans la seconde.
Une analyse détaillée en fonction des groupes
Au-delà du critère principal, l’étude a exploré de manière approfondie plusieurs critères secondaires, notamment les causes majeures de décès d’origine cardiovasculaire ou par cancer. Les analyses, qu’il s’agisse de la mortalité cardiovasculaire ou par cancer, ou encore en tenant compte des variations temporelles de l’usage de multivitamines, ne révèlent pas d’effet protecteur.
Les analyses stratifiées par sous-groupes sociodémographiques (race, niveau d’éducation, qualité du régime alimentaire) ne montrent aucune modification significative liée à cette prise systématique. L’absence d’effet bénéfique est également observée indépendamment du statut tabagique, de l’exercice physique ou d’autres facteurs de style de vie.
Sur le plan de la tolérance, bien que l’étude ne détaille pas les effets indésirables, aucune association notable avec une surmortalité marquée de cause spécifique n’a été mise en évidence. En somme, malgré la taille importante de l’échantillon et la diversité géographique, aucun bénéfice ni risque majeur net n’a été détecté au-delà de cette légère élévation de 4% d'un risque relatif, qui pourrait s’expliquer par des facteurs résiduels non mesurés.
Une analyse combinée de 3 larges cohortes prospectives américaines sur 20 ans
Ces résultats proviennent de trois cohortes américaines de grande envergure (NIH-AARP Diet and Health Study, PLCO, Agricultural Health Study), avec des évaluations répétées de la prise de multivitamines sur plus de deux décennies de suivi. La robustesse du protocole repose sur la taille des populations, la diversité géographique, ainsi que sur un ajustement méticuleux des facteurs de confusion, notamment les habitudes de vie, les données sociodémographiques et la consommation tabagique.
Toutefois, cette approche reste observationnelle, avec le risque persistant de facteurs de confusion résiduels. De plus, population étudiée, majoritairement blanche et avec un niveau d’éducation souvent élevé, peut limiter la généralisation des conclusions à l’ensemble de la population. Par ailleurs, l’étude n’a pas pu tenir compte précisément de la composition exacte des suppléments multivitaminiques consommés, ni de l’évolution de celle-ci au fil du temps, ce qui aurait pu influencer les résultats.
Aucun bénéfice associé à une supplémentation multivitaminique chez l’adulte sain
Malgré ces limites, le message clinique est clair : les données actuelles n’étayent pas l’hypothèse selon laquelle la prise quotidienne de multivitamines réduit la mortalité chez les adultes en bonne santé. Pour les médecins, ces résultats incitent à réévaluer la pertinence des multivitamines comme stratégie de prévention de la mortalité.
La composition de ces multivitamines vendues parfois sans contrôle sur internet pose aussi problème. On se souvient de l’épidémie de myalgies à éosinophiles à la fin des années 80, initialement rapportée à une intoxication par une supplémentation en L-tryptophane et qui était en réalité due à une contamination de l’excipient associé dans le comprimé au L-tryptophane. Loin d’avoir amélioré leur santé, cette consommation superfétatoire de Tryptophane par des personnes en bonne santé avait abouti à une épidémie d’une nouvelle maladie systémique grave et parfois mortelle, conduisant à la prescription prolongée de corticoïdes à forte dose. Un composé vendu comme naturel ou riche en vitamine n’est donc pas sans risque.